Les libéralités de Monsieur Nicolas

Posted on : 22-10-2008 | By : vincent | In : Les propos du vieux toubib

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Monsieur Nicolas, ayant abjuré le capitalisme, ses pompes et ses œuvres, décida de faire profiter son bon peuple de sa générosité. Il installa un bureau de bienfaisance à l’Élysée et y siégea en personne. Derrière lui, inclinés respectueusement, se tenaient Monsieur Eric et Madame Christine, les deux vizirs des finances amis des pauvres, flanqués des deux Xavier (celui du chômage et celui du démantèlement de l’Education), de Madame Roselyne, qui se croyait compétente en tout et ne l’était en rien, de Madame Rachida, grande Maîtresse de l’injustice, de Monsieur Hervé, vizir des militaires, de Monsieur François, officiellement premier couteau et concrètement cinquième roue du carrosse de l’Etat. Devant Monsieur Nicolas, les caméras de TF1 et des autres chaînes privées, celles qui perçoivent les pactoles de la pub, fixaient l’événement pour l’éternité..
Le Chef se racla la gorge, cracha par terre, orna son beau visage de quelques tics, et déclara la séance ouverte. Les délégations du peuple furent admises une à une.

Les chômeurs entrèrent.
“Monsieur le Président, ça ne va pas. Les portes des entreprises se ferment devant nous. Les jeunes de moins de 25 ans ne trouvent plus de travail. Les vieux de plus de 25 ans sont jetés. Nos emplois filent en Ukraine ou en Chine. On nous supprime nos allocations si on refuse trois fois un salaire de misère à 350 kilomètres de chez nous. On nous traite de paresseux et de profiteurs. Nous sommes près de trois millions dans votre royaume. Vous qui êtes tout puissant, mettez un terme à ces scandales !”
-Ah ! Mes bons amis ! Je voudrais bien ! Mais les caisses de l’Etat sont vides. Mesurez plutôt votre chance : il vaut mieux être chômeur que mort et, Dieu merci (il se signa), vous êtes bien vivants. Et puis j’ai une bonne nouvelle pour vous : Votre nombre va bientôt diminuer. J’ai décidé de rayer de vos listes un grand nombre de bouches inutiles. J’ai dit ! Claude, faites entrer les salariés.”

Une longue cohorte en bleus de travail, en blouses blanches, en complets vestons, ou en robes ne portant même pas la griffe de Christian Dior pénétra bruyamment, portant des drapeaux rouges. Monsieur Nicolas tiqua et murmura en son for intérieur : “Putain, je vais boire le calice jusqu’à la lie !”
Monsieur Bernard s’adressa au souverain au nom des salariés :
“Monsieur 53% ( réduit à 35% par les derniers sondages), depuis le début de votre proconsulat, notre situation devient intenable. Nos salaires ne bénéficient pas du moindre réajustement. Notre niveau de vie dégringole sans le moindre parachute, doré ou pas. Nos acquis sociaux sont sournoisement rongés sous prétexte de “rupture”. Vos histoires d’heures supplémentaires, c’est du pipeau. Nous travaillons plus pour gagner moins. La part des salaires dans le revenu national s’amenuise constamment. La sécurité de l’emploi n’existe plus. Chez Renault, chez Ford, à la Redoute, dans mille autres entreprises, on nous traite comme des Kleenex. Si ça continue, on va tous rejoindre nos prédécesseurs, nos camarades chômeurs. Vous et vos amis du MEDEF, vous tenez les cordons de la bourse et de la Bourse. Vous avez les moyens de faire cesser ces injustices !”
-”Ah ! Mes bons amis ! Les caisses de l’Etat sont vides, et celles du Patronat (il se signa encore) aussi ! Claude, faites évacuer la salle, puis appelez les suivants.” Les CRS rétablirent promptement l’ordre (républicain).

On vit alors apparaître les malades, les médecins et les infirmières.
“Président de tous les Français bien portants, nous allons mal et irons de plus en plus mal. Les réductions de remboursements, les franchises médicales, les fermetures de services, la destruction du maillage hospitalier du pays, les conditions de travail et les rémunérations du personnel, le développement des établissements privés au détriment du service public, on en passe et des pires, ça ne va pas arranger l’état de vos assujettis, sauf les plus riches !”
-”Ah ! Mes bons amis ! Les caisses de l’Etat sont vides, et le triste trou de la Sécu se creuse de jour en jour. Hélas, par votre faute. Votre incivisme manque de dignité. Cessez de vous appesantir sur vos petits bobos, vous irez mieux et vous coûterez moins cher . Malades imaginaires !”
Les malades se retirèrent en gémissant, accompagnés par les médecins, stéthoscopes en berne.

Place aux jeunes. Un cortège bruyant d’écoliers, de lycéens, d’étudiants et d’enseignants comparut. Monsieur Nicolas n’aima pas ça, ses acolytes encore moins. Ils tonitruèrent brièvement :
“Ennemis du bon savoir, arrêtez vos méfaits ! Vous faites réforme sur réforme, vous cumulez incohérences et démagogie, vous vous agitez dans les médias, vous vous prétendez les meilleurs, vous vous gargarisez du budget de l’Éducation nationale et, en finale, vous supprimez des dizaines de milliers de postes d’enseignants. Vous croyez que l’Éducation nationale s’en portera mieux ? Vous allez faire de la France une nation d’ignares, à votre image !”
-”Ah ! Mes bons amis ! Les caisses de l’Etat sont vides ! Débarrassez-moi le plancher ! Michelle, agissez !” Michelle obéit comme toujours et fit intervenir les bras armés de la sagesse démocratique.

On perçut un froufrou de robes et on vit de grandes envolées de manches. Juges et avocats entrèrent majestueusement dans le prétoire. Ils n’avaient pas l’air content.
“Nous nous présentons devant vous en tant que plaignants. Pour rendre une meilleure justice, vous supprimez les tribunaux. Pour rétablir la sécurité, vous remplissez les prisons. Pour enthousiasmer la jeunesse, vous en arrivez à criminaliser les moindres pets de travers. Vous, président ancien avocat, et votre garde de je ne sais quels sceaux, ancienne magistrate, vous nous faites honte ! Rendez la justice aux juristes !”
–”Ah ! Mes bons amis ! Les caisses de l’Etat sont vides ! Vous n’avez rien compris à la Réforme et à la Rupture ! Tous au trou ! Rachida, fais sortir les accusés !”

Un bruit de bottes et des cliquetis de sabres se firent entendre., on tira même un ou deux coups de canon. “Nom de Dieu, proféra Monsieur Nicolas, eux aussi !” Les soldats, sous-officiers, officiers, généraux défilèrent devant l’aréopage présidentiel. Du haut de son char Leclerc, un colonel tonna :
“Monsieur le commandant en chef des Armées, vous ne voulez plus de casernes. Par votre faute, il n’y aura plus ni troufions ni bidasses. Il ne restera que des James Bond, des unités spéciales et des satellites d’observation. On ne protégera plus la pays, on ira guerroyer en Afghanistan pour le compte des Américains !”
-”Ah ! Mes bons amis ! Les caisses de l’Etat sont vides ! Rompez !”

Vinrent alors les sans logis.
“Nous couchons sous des tentes, sur les trottoirs, dans le métro, dans des autos. On nous chasse de nos appartements parce que nos sommes pauvres. Vous voulez faire de la France une nation de propriétaires, à coups de “subprimes”, probablement. Votre comparse Madame Christine (pas la même que précédemment) tente de réduire le nombre des logements sociaux. Monsieur le Président de Neuilly, vous aimez tant la misère des autres ?”
-”Aux suivants !” ordonna Monsieur Nicolas.

Les suivants étaient les sans papiers. Il ne prit pas la peine de les écouter.
“Brice, expulse-moi ces gens-là!”
On les entassa dans une escadrille de charters qui s’envolèrent harmonieusement vers les quatre coins du monde.

Le dernier groupe s’achemina. Monsieur Nicolas les fit asseoir et fit circuler des rafraîchissements. Ils exprimèrent leurs doléances :
” Aimé et estimé chanoine ! On ne peut pas dire que nous sommes vraiment pauvres, non. Mais personne n’est parfait et certains d’entre nous ont fait quelques petites conneries,rien de grave, des vétilles, qui nous ont coûté une poignée de milliards d’euros. Alors, si vous voulez nous donner un coup de main, nous vous en serions reconnaissants. Comme d’habitude.”
-”Ah ! Mes chers, mes bons amis les banquiers ! Je ne vais pas laisser se pérenniser une situation aussi douloureuse. Tenez, voici dix milliards d’euros. Non, dix milliards et demi. Vous rembourserez quand vous pourrez. Avec des intérêts à prix d’amis. Et si ce n’est pas suffisant, ne vous gênez pas, je peux tenir à votre disposition un peu plus de trois cents milliards d’euros. Non, ne me remerciez pas. Je sais que je peux compter sur vous comme vous sur moi !”

Et la séance s’acheva dans l’euphorie de tous. Sauf du peuple.

Jacques FRANCK 22 octobre 2008