Le petit Jérôme s’avéra un pur produit du système qui l’employait. Système est un mot faible, religion conviendrait mieux. Dans cette religion, le culte magnifie l’Argent et la liturgie le fait fructifier, pour la grande gloire de ses adorateurs, que l’on nomme ici spéculateurs. Le jeune surdoué, de toute évidence béni du Seigneur, officiait en tant que “trader” dans un temple des plus réputés. En l’occurrence la Salle des Marchés de la Société Générale. Devant tant de grandeur, on s’incline et on prie. Bien que peu élevé hiérarchiquement, le trader dispose de pouvoirs importants et jouit de la confiance des puissants. Il a pour mission d’enrichir le haut clergé par des manipulations tenant de la sorcellerie.
Or le petit Jérôme, compétent mais parfois irréfléchi, commit des erreurs qui ne coûtèrent que cinq milliards à son église. Quelques fidèles en pâtirent. Péché véniel.

Le grand Bernard, lui, ne travaillait pas en amateur. Connu dans son pays sous le nom de Saint Madoff, il n’avait rien d’un gagne petit. Ancien grand prêtre du Nasdaq, seconde religion des USA après Wall Street, ce philanthrope ouvrit son cœur et son compte à toutes les fortunes désireuses de grossir, petites et grandes. Les investisseurs affluèrent. De l’épargnant modeste aux groupes bancaires majeurs du monde entier, chacun versa son obole. Bernard rafla la mise. Il gagna cinquante milliards de dollars. C’était nettement mieux.

Jérôme et Bernard sont les héros des temps modernes, ceux du capitalisme. La religion qui autorise et encourage, par ses mécanismes, les enrichissements les plus crapuleux. Le système qu’il serait urgent d’abolir.

Jacques FRANCK 17 décembre 2008