La Saint-Valentin du chanoine

Posted on : 13-02-2009 | By : vincent | In : Les propos du vieux toubib

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A son réveil, le président-chanoine passa une main appuyée et protectrice sur l’aimable croupe de Madame Carla. “Merci, mon poulet !” rétorqua la bénéficiaire du geste.

“Ce n’est rien, ma brave, ce n’est rien, juste pour marquer la Saint-Valentin. Mais comme ma bonté s’étend à toute la nature, je vais faire plus fort !”
La first lady of the bed, alléchée, s’attendit à mieux. Elle fut un peu déçue quand son seigneur et maître ne se précipita que sur son téléphone portable et convoqua son conseil particulier pour préparer un grand coup – qui n’était pas celui qu’elle escomptait.
Il convoqua ses conseillers les plus aptes à gérer la Saint-Valentin. Il y avait là Monsieur Claude, le secrétaire et éminence grise du chanoine. Madame Rachida, portant d’une main la balance de la Justice et de l’autre les Sceaux de la République, poussait comme elle le pouvait un landau, car il y avait grève des baby-sitters. Les quatre pom-pom girls ne voulaient pas manquer ça : Christine de Bercy (celle de la récession), Christine la Pieuse (celle des mal-logés), Christine de l’Inculture, et Christine l’épouse de Monsieur Bernard, le vertueux du Quai d’Orsay. Les deux Eric, le budgétivore et l’expulseur, siégeaient eux aussi dans cette haute assemblée, ainsi que Madame MAM, dont la compétence ministérielle s’étendait aux Cultes, sinon à l’amour. Le Nonce apostolique remplaçait Sa Sainteté Monsieur Benoît, qui n’avait pas pu faire le déplacement. Madame Laurence représentait les forces vives de la Nation et de la Thune.
Le chanoine, conformément à son habitude, se râcla la gorge, tordit un peu son visage, se félicita en son for intérieur d’être si beau, et informa le Conseil de ses intentions :
“Mes chers fidèles, nous honorons la Saint-Valentin, traditionnellement fête des amoureux. Sachez d’abord qu’en ce domaine comme en tous, mon expérience est ancienne, multiple, et incomparable (Il ricana complaisamment). Mais je vais innover : ma politique de Réforme et de Rupture va transfigurer la célébration de ce grand saint. Au lieu de se limiter aux petits cadeaux ringards à nos vaillantes compagnes et (il loucha vers les dames) à vos valeureux compagnons, nous allons couvrir de présents tous ceux que nous aimons. Je précise :
-A mes amis banquiers, j’entends par là les patrons méritants et pas les sous-fifres ni le petit personnel, j’offre 11 milliards d’euros et je tiens à leur disposition 340 autres milliards. A condition qu’ils soient sages, mais je sais qu’ils le seront (il ricana derechef).
-Les grands entrepreneurs, surtout ceux qui figurent au tableau d’honneur dit CAC 40, sont le sel de la terre. Nous leur donnerons, pour relancer leur courage, 26 milliards d’euros. Au passage, je rends hommage à Monsieur Christophe, PDG de TOTAL, dont le modeste labeur a permis à sa petite entreprise d’engranger 13 milliards de bénéfices en 2008 ! (Applaudissements)
-Nos compatriotes allèguent une soi-disant baisse de leur pouvoir d’achat pour acheter moins d’automobiles. Cet incivisme m’afflige.
Je vais en compenser les effets et prêter 3 milliards d’euros à chacun de nos 2 constructeurs. Ils me rembourseront quand ils pourront. Par solidarité, Moi, chanoine de la République, j’ai acheté récemment une “Vel Satis” spéciale qui ne coûte que 150.000 euros au Trésor Public. Que le peuple en prenne de la graine ! (Nouveaux applaudissements)
-La taxe professionnelle, si j’en crois mon amie Madame Laurence (elle s’inclina), saigne les patrons au profit des collectivités locales. Je la supprime. Les maires et conseillers généraux se débrouilleront autrement. D’ailleurs, je ne suis plus maire de Neuilly, ce qui m’autorise une vision plus large des choses (rires dans l’assistance).
Et n’oubliez pas, mes chers fidèles, que grâce au bouclier fiscal et à toutes les mesures prises depuis le début de mon proconsulat, j’ai su préserver les vraies valeurs de la Saint-Valentin !”

On vit alors entrer une foule d’infidèles. Les agents du service public, dont on supprimait les emplois, les enseignants, chercheurs, étudiants, les innombrables salariés de l’industrie que l’on jetait sur le pavé, y compris ceux qui avaient construit la “Vel Satis”, les chômeurs et les futurs chômeurs, ceux que l’on avait vus et entendus le 29 janvier et que l’on reverra, plus nombreux le 19 mars, les ménagères au panier vide, les malades et les médecins. Même les magistrats en manque de tribunaux et les soldats en manque de casernes. Tous ceux, ils étaient légion, qui n’avaient pas envie de rire et d’applaudir aux propos du chanoine.
Et, par centaies de milliers les Guadeloupéens, suivis des Martiniquais, des Guyanais, des Réunionnais : “Vous n’avez pas un mot pour nous, vous ne nous donnez pas un sou, vous nous laissez vivre dans les pires conditions économiques, et vous vous prétendez président de tous les Français ! Nous ne voulons plus de vous !”

Le chanoine-président, oreille basse, profil bas, queue basse, s’enfuit. On lui avait gâché sa Saint-Valentin.

Jacques FRANCK 13 février 2009