La légende de la Nativité

Posted on : 20-12-2008 | By : vincent | In : Les propos du vieux toubib

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Monsieur Benoît, bien que relativement récent dans le métier prenait au sérieux ses fonctions pontificales. Il ne manquait aucune fête carillonnée, n’aurait pour rien au monde raté la moindre béatification, bénissait urbi et orbi à bras raccourcis, recevait lui-même les pécheurs dans son confessionnal privé, ordonnait les prêtres par fournées entières (bien que les amateurs se fissent rares), maniait l’encensoir avec la dextérité d’un jeune diacre, émettait bulles et encycliques chaque mercredi matin de 10 à 11 sur Radio Vatican, relayé à l’intention des fidèles français par Radio Notre Dame (100.7 Mhz). Il allait à la messe tous les dimanches. Dans la ligne de son grand prédécesseur Monsieur Jean-Paul, il menait un implacable combat contre le démon et ses avatars contemporains, le préservatif, l’IVG, la fornication, l’homosexualité.
“Ach !, dit-il à son for intérieur en ce jour de décembre de l’an de grâce 2008 (tous les ans sont de grâce quand on a la vraie foi), Ach ! Il va me falloir faire un grand coup pour Noël ! Gott mit uns !” Cette pieuse incantation signait l’origine germanique du Saint-Père, en quelque sorte son péché mignon.
Monsieur Benoît enfourcha sa motopapamobile, un bel engin rouge de marque Ducati, remplaça sa tiare par un casque intégral, don de la Banque du Saint-Esprit, et roula vers Saint-Jean de Latran.
Il avait un rendez-vous confidentiel dans une sacristie avec le chanoine Nicolas, à ses heures président de la République française, pour qui il nourrissait une affection paternelle. Les deux illustres personnages se congratulèrent, s’informèrent de leur santé respective, commentèrent l’état du monde. Monsieur Benoît se lamenta un peu, se plaignant de la baisse générale de piété qui n’arrangeait pas ses affaires, et d’une arthrose des genoux qui nuisait à ses génuflexions professionnelles. Son interlocuteur lui conseilla la Réforme et la Rupture, maîtres mots de sa propre politique, dont toutefois l’efficacité n’était pas démontrée.
Puis ils en vinrent aux choses sérieuses, la célébration de la Nativité.
- Très cher fils et estimé chanoine, on va faire une crèche ! L’originalité de la chose frappera les esprits et ramènera à Dieu ses enfants égarés.
- Vénéré Pontife et Benoît de mon cœur, j’admire la lumineuse clarté de ton imagination et me prosterne devant ta sagesse. Mais si ça pouvait, par la même occasion, ramener aussi vers Moi quelques électeurs défaillants, ce serait là œuvre pie.
- Ach ! Président de la fille aînée de l’Eglise ! Dans notre infinie bonté, nous y veillerons. Où on la fait, cette crèche ?
- Papissime, j’ai en location une modeste cabane à Paris, au coin de la rue du faubourg Saint-Honoré et de l’avenue Matignon. Les gens du pays l’appellent l’Élysée. La simplicité de l’endroit sied à l’événement.
- Qu’il soit fait suivant tes désirs, chanoine !
Monsieur Benoît congédia Nicolas d’un geste bénisseur appuyé.
La nuit tombait sur le huitième arrondissement de Paris, lieu choisi par le Seigneur pour l’accomplissement du miracle. Un silence régnait, annonciateur de l’extraordinaire, à peine troublé par le bruissement d’un vélib, le gai ronronnement d’un ange gardien assurant, sur sa motocyclette, la sécurité de tous (sauf de ceux qui ne la méritaient pas) ou le tintement du portable d’un barbouze vigilant.
Monsieur Claude, secrétaire général, partageait les tâches d’organisation avec Madame Michelle, apôtre de l’Intérieur, ayant à ce titre la charge des cultes.

Ils choisirent, pour l’installation de la sainte crèche, la salle de réception de l’Élysée. La sobriété et le dépouillement de la pièce évoquaient à s’y méprendre l’étable de Bethléem où s’était déroulée, deux mille huit ans plus tôt, la répétition générale de la cérémonie. Il fallait de la paille, on la réclama à Monsieur Jean-Louis. Ses compétences en écologie, quoique limitées, le désignaient à cet effet. Il en trouva dans une grange du quinzième arrondissement et bomba le torse d’orgueil : c’était la première fois que le Grenelle de l’environnement servait à quelque chose.
Pour les animaux, on demanda un âne au ministère de l’Education Nationale. Monsieur Xavier, qui adoptait depuis peu un profil bas, accepta le rôle. Un boeuf, il n’y en avait pas. On dut se contenter d’un mammouth, ce qui permit à un prédécesseur du ministre, prénommé Claude (à ne pas confondre avec le secrétaire) de jouer enfin un rôle dans les affaires du pays.
Une conseillère technique s’imposait : Madame Christine, apôtre du Logement et de la Ville, affichait une ferveur religieuse dont tous ne pouvaient se targuer. On avait bien pressenti Monsieur le Cardinal André Vingt-Trois, mais il était retenu à minuit en sa cathédrale et ne pouvait pas se libérer de cette obligation.
Le choix des personnages principaux fut épineux. Il se cristallisa entre plusieurs postulantes au rôle de Marie. Dans un but d’ouverture, quelqu’un avança le nom de Madame Ségolène. C’était hardi mais risqué. Il était sage de ne pas insister. Madame Rachida se proposa, mais, on ne sait pas pourquoi, on flaira chez elle une incompatibilité avec la notion d’Immaculée Conception. Madame Christine, apôtre des Finances, n’avait pas le look. Finalement, le casting retint madame Fadela. Au nom de la discrimination positive.
Pour le premier rôle masculin, Joseph, on désigna François, individu un peu falot qui se croira père de l’enfant à venir comme il se croit chef du gouvernement de la France.
Madame Rama provoqua un petit scandale. Elle exigea le personnage de Marie-Madeleine. On dut lui expliquer l’anachronisme : cette jeune femme n’apparaîtra dans la saga que bien plus tard et elle n’était pas à Bethléem. Mécontente, Madame Rama refusa le poste de chef des enfants de chœur qu’on lui offrait et claqua la porte.
Tout était en place. Les invités présentaient leurs visages graves et pieux aux caméras de Messieurs Bouygues, Lagardère, Bolloré. Celles de France Télévision étaient absentes, n’ayant plus les moyens de couvrir les grands moments de la vie. Au premier rang, on reconnaissait la fleur de la culture française : Monsieur Christian Clavier, Monsieur Johnny, Monsieur Jean-Marie Bigard, Monsieur Doc Gynéco.

Juste avant minuit, l’obscurité se fit. Madame Carla entonna “Il est né le divin enfant !” A cet instant précis, on assista au miracle de la Nativité. Les projecteurs se rallumèrent, illuminant sur sa couche de paille, entre Joseph et Marie, l’enfant Nicolas le chanoine. Il se racla un peu la gorge et adressa un discours au peuple.
Le peuple, consterné, s’écria :”Putain, on en prend encore pour trente-trois ans !”

Jacques FRANCK 20 décembre 2008

La légende de Saint-Nicolas

Posted on : 05-12-2008 | By : vincent | In : Les propos du vieux toubib

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Ce samedi 6 décembre aux aurores, le chanoine dormait d’un sommeil agité. Avisant le calendrier, la Première Dame du Lit (First Lady of the Bed), Madame Carla, le réveilla en chantant une mélodie extraite de son dernier album et en susurrant  : “Lève-toi, mon poulet ! Aujourd’hui, c’est ta fête !
-Mais depuis le 6 mai 2007, c’est tous les jours, ma fête ! Pourquoi plus que d’habitude ? Ah oui, j’oubliais ! Les enfants, putain, faut que je m’occupe des enfants, c’est la Saint-Nicolas, merde !”
Il sonna son secrétaire, monsieur Claude, son premier couteau, Monsieur François, son acolyte à la petite enfance, Madame Nadine, et sa préposée à la jeunesse, Madame Roselyne, chargés de l’assister dans cette mission. Tous courbèrent l’échine avec la deference d’usage, sauf Madame Roselyne, dont la configuration physique limitait la flexion. Dans l’enthousiasme, on prépara la tournée du saint chanoine et on en réunit les instruments : la barbe blanche, la hotte, et le Falcon 900.
Monsieur Nicolas put alors inonder les enfants de France de ses bontés.
Aux enfants des ouvriers de la métallurgie, de l’automobile, et de quelques autres industries, dont la fermeture allait dans le sens de l’Histoire, il fit un cadeau somptueux. Leurs parents, n’étant plus tenus de perdre leur temps à l’usine, purent se consacrer à leurs foyers à temps complet.
Les enfants des écoles, que l’on débarrassait de plusieurs milliers d’enseignants inutiles, échappèrent à une pédagogie d’un autre âge et bénéficièrent d’un allégement de programmes contraignants. Merci à Saint Xavier et béni soit son nom. Les enfants n’avaient pas besoin de se farcir la tête, on leur demanderait seulement d’être des citoyens obéissants.
Grâce à la soi-disant baisse du pouvoir d’achat de leurs parents, nombre de gamins eurent la chance d’éviter les maladies de surcharge et les perturbations gastro-intestinales. Leur alimentation, frugale par la force des choses et les effets d’une bonne politique gouvernementale, fut bénéfique à ceux qui survécurent.
Les franchises sur les remboursements médicaux, mettant fin à une surconsommation de soins, évitèrent aux jeunes generations (et, par la même occasion, aux vieilles) de devenir des poules mouillées
Les enfants de familles immigrées en “situation irrégulière” virent leurs parents ou grands parents transportés dans des centres de rétention et même, quelquefois,  embarqués gratuitement dans des avions. Malgré les inévitables petits soucis d’organisation qui en résultèrent, ce fut là une aventure grandiose. Hommage et grand merci à Saint Brice.
Dans sa générosité, le chanoine Nicolas n’oublia pas les enfants un peu turbulents. A partir de douze ans, ils eurent le droit de connaître la prison. Comme les grands. Chacun reconnut dans ce cadeau la patte incomparable de Sainte-Rachida.
Enfin les enfants de Marciac, dans le Gers, assistèrent à la première d’un spectacle inédit: un superbe numéro de gendarmes et de chiens dressés, dans leurs propres classes.
Quant aux enfants des banquiers, des grands entrepreneurs, des travailleurs du MEDEF, des parachutistes dorés, sans oublier les petits anges des paradis fiscaux, le bon Saint-Nicolas pensa aussi  paternellement à eux.
Grâce aux centaines de milliards déversés avec libéralité sur leurs familles, méritantes s’il en fut, ces bambins récurrent une large part de la générosité du Saint.
Le soir venu, le chanoine rejoignit sa soupente de la rue du Faubourg Saint-Honoré, la conscience en paix. Il avait bien servi son pays.

Jacques FRANCK 5 décembre 2008