La chute du Mur de Berlin

Posted on : 09-11-2009 | By : vincent | In : Les propos du vieux toubib

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LE BATEAU, LA PROSTATE ET LE MUR (1989) par Jacques Franck.

L’Amicale des Médecins de mon arrondissement sait allier le festif à la pédagogie. Le 9 novembre 1989, elle affrète un bateau sur la Seine pour sa réunion mensuelle de formation médicale continue. La soirée est subventionnée par un laboratoire pharmaceutique. Elle s’avère conviviale. On navigue d’Issy-les-Moulineaux à Bercy et retour. Au programme, outre les boissons et la nourriture, un jeune professeur agrégé, chirurgien des Hôpitaux, nous régale d’une conférence sur la pathologie de la prostate. Il a du talent. En admirant le spectacle de Paris la nuit, nous buvons ses paroles. Nous ne sommes pas les seuls. On s’aperçoit que par erreur les haut-parleurs extérieurs du navire sont branchés. Les riverains, les équipages et passagers des autres embarcations (bateaux-mouches, péniches, vedettes de police, etc.) profitent du discours. Certains applaudissent même aux bons moments. La population fluviale n’ignorera rien des caprices de la prostate.
L’ambiance à notre bord, confortée par l’absorption de spiritueux et de fines victuailles, est chaleureuse à souhait. Nous vivons agréablement.

En ce temps-là, on perçoit l’écho de drôles de turbulences en provenance de l’est. Des Allemands de la RDA s’arrangent pour transhumer de l’autre côté. Ce n’est pas nouveau, mais ça commence à prendre un caractère institutionnel. Des filières d’évasion s’organisent par la Hongrie (un pays frère, horrible détail) et l’Autriche. Pour leur part, les Tchèques, qui sont encore liés aux Slovaques, ne sont pas contents de leur régime. Les Bulgares, les Polonais non plus. Quant aux Roumains, on verra sous peu ce qui va se passer.
En toile de fond, l’Union soviétique n’est plus ce qu’elle était. On parle de restructuration (perestroïka), de transparence (glasnost). On considère avec sympathie cette mutation. L’injection d’un peu de démocratie dans le vieux système ne peut pas faire de mal. On ne sait pas ce que ça donnera, mais on a confiance.

Ce soir, je ne pense pas à ça. Un verre à la main, je bavarde avec des collègues en regardant par la fenêtre les berges de la Seine illuminées par les projecteurs des bateaux.
Le Docteur F., un pédiatre ami, s’approche de moi. Il a entendu la radio avant l’embarquement : le mur de Berlin vient d’être sérieusement ébréché.
Les Berlinois de l’Est fraternisent avec ceux de l’Ouest. L’information est stupéfiante. Elle ne va pas dans le “sens de l’Histoire” tel que les vieux communistes l’entendent.
Bien sûr, ce mur me semblait un anachronisme néfaste. J’étais allé plusieurs fois à Berlin. La ville, partagée en deux moitiés dont on ne savait laquelle enfermait l’autre, me laissait pensif. D’un côté, la vitrine exubérante de la société de consommation, les belles voitures, les beaux hôtels, les boîtes de nuit luxueuses ou minables pour touristes, les innombrables prostituées fleurissant sur les trottoirs dès le crépuscule. En face, la vertueuse rigueur du “socialisme réel”, l’austérité des magasins, la solennité de l’architecture, la monotonie ambiante.
Entre les deux, une muraille lugubre, des militaires américains, des gendarmes français, des patrouilles de Vopos (“policiers du peuple” de la RDA), des miradors bardés de jumelles et de téléobjectifs. Sur cette frontière, chacun épiait l’adversaire.
En apprenant la nouvelle, je me souviens des arguments justifiant, en été 1961, l’édification surprise du mur de Berlin. On le présentait comme une barrière indispensable à la survie de la République Démocratique Allemande. Il s’opposait à la pénétration insidieuse des idées et des agents de l’ouest. Il protégeait les libres citoyens des tentations de fuite vers le miroir aux alouettes du capitalisme. J’avais cru longtemps à ces explications. Puis, devenu un peu plus intelligent, j’y croyais de moins en moins. Puis plus du tout.
Mais, chez moi comme chez d’autres militants, il persistait une teinture d’esprit, une méfiance à l’encontre de ce qui ne nous arrangeait pas. On n’extirpe pas facilement les vieilles habitudes mentales. Surtout les mauvaises.
J’ai donc accueilli le propos du Docteur F. avec scepticisme. Dans un premier temps, je me suis même demandé si ce n’était pas un provocateur (idée bizarre).
On ne pouvait pas porter une semblable atteinte au socialisme, même imparfait. Je n’étais pas loin de penser comme un personnage de Brecht : “Si le peuple n’est pas d’accord, il faut changer le peuple !”. Ces réactions ont duré peu de temps. Mais elles étaient symptomatiques d’une mentalité résiduelle en voie de disparition – lente.

Indifférent à ces lourds problèmes, le bateau a continué son voyage. Mes collègues étaient contents. On avait appris ce belles et bonnes choses sur la prostate. Les anxieux de plus de soixante ans se posaient quelques questions en leur for intérieur. Les dames se félicitaient de ne pas être confrontées aux vicissitudes de ce noble organe. Tout le monde avait bien mangé et bien bu.
En débarquant, je ne partageais pas l’allégresse générale. Sans que ma prostate y soit pour quelque chose.

Les jours suivants, il a fallu voir la réalité sans tricher. Le mur de Berlin était bien tombé. Au premier degré, ce n’était pas une mauvaise chose. Au contraire. Mais la notion traditionnelle de socialisme en prenait un sacré coup.
Ce socialisme-là ne tenait donc que par une muraille et des miradors ? Rude question. Les Allemands de RDA exultaient. Ils avaient raison, mais ça ne durera pas jusqu’à la fin des temps. Ni même jusqu’à la fin du siècle. La réunification tant souhaitée en décevra beaucoup.
Les Soviétiques allaient connaître de gros ennuis.
Les Américains étaient ravis. lls avaient gagné la troisième guerre mondiale.
Les anticommunistes de tout poil et de tous lieux pavoisaient.
Les partis communistes de presque partout se préparaient à faire un hara-kiri prématuré mais ils ne le savaient pas.

Alors débuta pour moi une longue période d’inconfort politique et d’emmerdements intellectuels.

Jacques FRANCK

Michel Rocard préconise une taxe carbone

Posted on : 22-07-2009 | By : vincent | In : Les propos du vieux toubib

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Le chanoine, le carbone, et le socialiste par Jacques Franck.

“Nom de Dieu, s’écria le chanoine-président, nom de Dieu ! Ce peuple est fou, il faut le punir.” Du haut de son Falcon triréacteur, certifié super-écologique par son constructeur Monsieur Dassault, il contemplait les files de citadins partant en vacances. Des Clio, des Citroën C3, des 207. “Tout ça, ça bouffe ! Ils massacrent notre jolie planète Ah ! Les inconscients, les inciviques ! Ils vont voir ce que ça va leur coûter, ces cons.”
Le chanoine Nicolas décida alors de préserver la planète des effluves délétères qui la pourrissaient. Un de ses sous-fifres, plus hardi que les autres, lui signala que les pollutions industrielles, ce n’était pas rien, et qu’il serait bon de penser prioritairement à les réduire. “Quoi ! Pénaliser mes meilleurs amis, ces grands entrepreneurs qui n’ont que des bontés pour moi ! Jamais. Le peuple pollue,le peuple sera puni..” On balança le sous-fifre par un hublot.
Il rentra en lui-même et chercha le moyen de pénaliser les prédateurs de la nature. Il trouva vite. “Putain je vais leur faire payer leur inconscience égoïste. Une taxe ! Voilà ce qu’il faut pour purifier l’atmosphère ! Une taxe sur le carbone impudemment brûlé !”
Un autre sous-fifre, un peu plus courtisan que les autres, lui glissa dans le tuyau de l’oreille : ” Grand chanoine, prenez donc avec vous un socialiste ! Ces gens-là ont l’habitude des taxes, et, pardonnez cette hardiesse, vous ne serez pas le seul à porter le chapeau !” ainsi fut fait.
Monsieur Michel Rocard, qui se disait socialiste depuis toujours, fut mandé auprès du chanoine. Les deux bienfaiteurs décrétèrent qu’une “taxe carbone” serait appliquée sur le carburant des automobiles, à raison de sept à huit centimes par litre. Puis ils se congratulèrent. Ils avaient sauvé la Terre.
Quant aux industriels du CAC 40, on les remercia de leur patriotisme, on supprima la taxe professionnelle, et on donna un peu plus d’épaisseur à leur bouclier fiscal.

Jacques FRANCK le 22 juilllet 2009